Home, de Ursula Meier

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Réalisatrice : Ursula Meier
Date de sortie France : 29 octobre 2008
Durée : 1h37
Casting : Isabelle Huppert, Olivier Gourmet, Adélaïde Leroux, Madeleine Budd, Kacey Mottet Klein
Nationalité : Suisse / France / Belgique
Distributeur : Diaphana

La réalisatrice

Le cinéma suisse est souvent méconnu. Il y a l’icône Jean-Luc Godard, de nationalité franco-suisse, chef de file de la Nouvelle Vague (française) dans les années 1960. S’il n’a jamais revendiqué d’appartenance à la Suisse, l’illustre cinéaste vit depuis plus de trente ans dans le village de Rolle, dans le canton de Vaud. Toujours du côté de la Suisse romande (donc francophone) se forme en 1968 le Groupe 5, composé des cinéastes genevois Alain Tanner, Claude Goretta, Jean-Louis Roy, Michel Soutter et Jean-Jacques Lagrange (puis Yves Yessin), dont les films d’avant-garde, loin des stéréotypes nationaux, sont ancrés dans leur époque. Le Groupe 5 bénéficie alors d’accords privilégiés avec la télévision suisse romande, ce qui permet au cinéma suisse de connaître à ce moment-là une belle vitalité sur le plan domestique et à l’international.

Née en 1971 à Besançon, Ursula Meier est franco-suisse. Après des études de cinéma en Belgique à l’Institut des Arts de Diffusion, elle travaille en tant que deuxième assistante à la réalisation sur deux films d’Alain Tanner, cinéaste qu’elle admire et avec lequel elle partage le souci de s’éloigner d’un cinéma de folklore pour montrer certaines réalités moins attractives de la Suisse contemporaine. La Salamandre, tourné en 1971 avec Bulle Ogier, est l’une de ses références.

Après quelques court métrages remarqués, elle réalise en 2002 un téléfilm : Des épaules solides, pour la collection masculin/féminin d’ARTE (dont font également partie La Chose publique de Mathieu Amalric ou encore Brève Traversée de Catherine Breillat). Le film est accueilli avec enthousiasme et circule dans de nombreux festivals à travers le monde.

Son style s’affirme. Ursula Meier aime filmer les corps des acteurs, les diriger, expérimenter différents procédés avec eux. Elle ne s’embarrasse pas d’une définition restrictive des genres, et aborde avec liberté le documentaire comme la fiction. Son rapport à l’espace, influencé par son enfance dans le Pays de Gex, dans cette zone indéfinie à la frontière franco-suisse, marque les deux long métrages de fiction qu’elle a réalisés à ce jour.

Le premier, Home, réalisé en 2008, est une coproduction helvético-franco-belge avec Isabelle Huppert et Olivier Gourmet. Le quotidien d’une famille est bouleversé le jour où l’autoroute déserte auprès de laquelle ils vivent heureux et insouciants depuis des années est ouverte à la circulation. Le film est présenté à la Semaine de la Critique à Cannes, nommé dans 3 catégories aux Césars (meilleur premier film, meilleure photo, meilleurs décors) et obtient le Quartz (Prix du cinéma suisse) 2009 du meilleur film de fiction, du meilleur scénario et du meilleur espoir d’interprétation pour le jeune Kacey Mottet Klein.

L’envie de retravailler avec le jeune acteur lui inspire en 2012 son second long métrage, L’Enfant d’en haut. Le film raconte le quotidien de Simon (Kacey Mottet Klein) et de sa sœur (Léa Seydoux) et les stratagèmes déployés par le jeune garçon pour assurer leur survie, eux qui habitent la plaine industrielle et n’ont pas accès à la station de ski, territoire des privilégiés « d’en haut ». Le film remporte l’Ours d’Argent à la Berlinale 2012.

Ursula Meier fait partie de cette génération active de cinéastes suisses, qualifiée par certains journalistes de « nouvelle nouvelle vague », quarante-cinq ans après le Groupe 5. Elle est notamment associée au sein de la société de production lausannoise Bande à part Films aux cinéastes Lionel Baier (Garçon stupide, 2004), Frédéric Mermoud (Complices, 2008) et Jean-Stéphane Bron (Cleveland contre Wall Street, 2010), avec lesquels elle partage affinités artistiques et un réel esprit de compagnonnage. En conjuguant réalisation, production et enseignement, ces cinéastes participent d’une effervescence du cinéma suisse romand que l’on suit avec la plus grande attention.

Le Film

Au milieu d’une campagne calme et désertique s’étend à perte de vue une autoroute laissée à l’abandon depuis sa construction. Au bord du bitume, à quelques mètres seulement des barrières de sécurité, se trouve une maison isolée dans laquelle vit une famille. Les travaux vont reprendre et on annonce l’ouverture prochaine de l’autoroute à la circulation…

Home est un film de famille tourné comme un huis clos avec extérieurs.

La mère, c’est Isabelle Huppert, l’une des actrices françaises les plus en vue de sa génération. On la retrouve ici dans un registre de comédie sombre, incarnant un personnage issu d’un milieu social modeste, les cheveux aux vents comme dans White Material de Claire Denis. Elle flotte dans son territoire, cette maison qu’elle ne veut pas quitter, quoi qu’il advienne. Le père, c’est Olivier Gourmet, acteur belge qui s’est distingué à plusieurs reprises dans le cinéma social des frère Dardenne (de La Promesse en 1996 au Fils en 2002). Il lutte de toutes ses forces contre la déliquescence du bien-être de sa famille. Les enfants, ils sont trois. Kacy Mottet Klein, comédien non professionnel qu’on retrouvera dans L’Enfant d’en haut en petit voleur spécialiste de la débrouille, est le petit frère plein d’énergie, qui se refuse à croire les prophéties de mauvais augure de sa sœur. Cette dernière (Madeleine Budd) fait des statistiques à n’en plus finir sur le trafic autoroutier et ses conséquences néfastes, tandis que l’aînée s’exhibe au soleil et aux routiers en écoutant du métal à plein volume (Adélaïde Leroux). L’une s’échappe, et l’autre s’enterre.

C’est le fragile équilibre familial et son délitement progressif que filme la cinéaste ; la façon dont chaque membre de cette communauté réagit, chacun à sa manière, à l’agression extérieure dans un périmètre défini.

Home, un film dans la Zone

L’action de Home prend place dans une zone bien circonscrite, l’espace dans lequel vit cette famille, à l’écart du monde. La cinéaste choisit de ne jamais filmer l’extérieur, dont on entend parfois parler (le travail, l’école, les annonces de la radio), et se concentre uniquement sur son petit territoire, autour de la maison familiale. Les essais formels et les gags de mise en scène servent une réflexion sur l’évitement, l’enfermement, et les rapports possibles à l’espace dans le monde contemporain.

Le film donne la part belle aux expérience sonores et visuelles, faisant du lieu un véritable terrain de jeu pour la caméra. L’autoroute inactive est une annexe de la maison : tour à tour terrain de hockey, salle de cinéma, piste de vélo… A l’image, Agnès Godard (chef opératrice de Claire Denis, entre autres) donne au paysage une couleur irréelle, presque futuriste, comme si elle filmait une autre planète. Cette teinte de science fiction, on la retrouve avec l’arrivée des ouvriers, muets dans leurs combinaisons orange, comme sortis d’un mauvais rêve de la fille aînée en train de bronzer. L’environnement bucolique cède alors la place à la voie goudronnée traversée par des bolides à pleine vitesse. Le passage incessant des voitures, visibles et surtout audibles à travers la vitre de la maison, transforme le foyer familial en maison d’exposition où l’on peut difficilement envisager toute forme de convivialité et même de vie.

Paradoxalement, l’ouverture de l’autoroute enferme les riverains dans leur espace. La route perd sa fonction de lien pour n’être qu’un tunnel infranchissable. Les voitures n’ont rien d’humain, ce sont des machines filantes qu’on ne reconnaît qu’au grondement des pneus. Il faut attendre l’embouteillage, qui rappelle celui de Week-end de Godard, pour enfin les voir à l’arrêt. Pour la famille, chaque traversée devient un exploit. La communication impossible de ces espaces pourtant juxtaposés est d’une absurdité comique.

Cette juxtaposition est aussi présente au son. La radio se félicite de l’ouverture de l’autoroute, tandis qu’Isabelle Huppert, seule et muette dans sa cuisine devenue prison, s’en désole. Le bruit s’immisce partout, rend fou. La zone choisie pour ériger la maison, pour récréer un paradis perdu, à l’écart du monde, devient une zone dangereuse, invivable, toxique, paranoïaque.

Le film partage des similarités avec Safe, de Todd Haynes (1995). Julianne Moore y interprète une femme au foyer (housewife) fragilisée, ne pouvant plus goûter au confort de sa luxueuse banlieue américaine à cause d’une gêne mystérieuse grandissante, sorte d’allergie généralisée au monde et aux autres. Dans les deux films, les personnages sont tentés par le confinement pour déjouer les agressions du monde extérieur. Dans les deux cas le repli et l’évitement n’apparaissent pas vraiment comme la meilleure des stratégies pour affronter le monde et s’en sortir…

La presse en parle :

« Ursula Meier a signé un chef-d’oeuvre. […] L’un des plus beaux films de l’histoire du cinéma helvétique. »
Le Temps

« Road movie de l’impasse, Shining du troisième type, Trafic du septième continent. […] Ursula Meier fait son miel de toutes les béances d’un scénario qui se fait fort de ne pas tout raconter. »
Les Cahiers du Cinéma

« La plus grande qualité de Home, c’est d’être parfaitement original. Ursula Meier a réussi une fable gorgée de couleurs vives et d’entrelacs mystérieux, de pistes qu’elle propose d’emprunter, sans jamais nous forcer à les suivre… On sent, chez elle, un plaisir à inventer, à tenter, à surprendre. A provoquer, même. A faire réfléchir, en tout cas – juste comme ça, en passant – sur une société tentée davantage par l’asphyxie que par la survie. »
Télérama

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